La psychanalyse, disait Dolto, c'est apporter à chaque séance un message inconnu de soi-même et qu'un autre perçoit parce qu'il est payé pour y être attentif et pour se projeter le moins possible. C'est une aventure revécue de sa propre vie. Rares sont aujourd'hui encore ceux qui connaissent les bienfaits véritables de cette technique d'utilité publique inventée par Freud. Aussi remarquable que subversive, cette pratique profondément éthique se détermine d'un lien social à deux inédit et permet à celui qui en bénéficie - enfant, adolescent ou adulte - de retrouver dans le parler ce qu'il lui faut de jouissance, de courage et de détermination pour que son histoire continue. Elle révolutionne de surcroît son rapport à lui-même, aux autres et au monde. Bienvenue. Cécile Crignon
Avoir ses lettres de Cracovie. Avoir un brevet de menteur — par jeu de mots sur Cracovie et craquer ( mentir ), craqueur ( menteur ). ( Dictionnaire des locutions françaises, Édition augmentée, Librairie Larousse, Paris, 1957, p.135 )
En annexe de son Crépuscule d’une idole - l’affabulation freudienne, Michel Onfray invite les freudiens à « démontrer, en apportant leurs preuves, que Freud n’a pas été menteur, faussaire, plagiaire, dissimulateur, propagandiste, père incestueux — ce qu’il était pourtant bel et bien ». ( Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p. 586 ).
Si les assertions contre Freud relèvent de la calomnie, nous explique Michel Onfray, il suffit « de prendre ces affirmations les unes après les autres et d’en montrer la fausseté de façon argumentée, sans haine, sans mépris ». ( ibid.).
Dit autrement, après avoir dans un brûlot de 612 pages rhabillé Freud pour l’hiver avec beaucoup de laine — mais pourquoi tant de laine ? — et de mépris ( notons que la partie 3 de l’annexe Bibliographie où Michel Onfray expose sa méthodologie, après « Tout lire dans l’ordre » et « Hagiographies à défaut de biographies », est intitulé « la haine comme méthode » ( op.sit. p. 584 ) ), Onfray exhorte les défenseurs de Freud à prouver de façon argumentée, preuves à l’appui, sans haine et sans mépris — c’est-à-dire pas comme lui — qu’il y a calomnie.
D’accord.
Prenons, comme il nous y invite, quelques-unes de ses affirmations et démontrons-en, de façon argumentée, sans haine et sans mépris, la fausseté. C’est — il faut bien le reconnaitre — un jeu d’enfant et on a l’embarras du choix quant aux affirmations fausses de Michel Onfray, aussi nombreuses dans Le crépuscule d’une idole que les feuilles mortes en automne.
Voici donc, à titre d’exemple, quelques-unes de ses affirmations à propos du prétendu déni de Freud quant à l’influence de la philosophie en général et de Schopenhauer en particulier dans la construction de son édifice théorique:
➪ Affirmation 1 :
« Je me proposai de le lire [Freud] comme un philosophe vitaliste développant sa théorie dans le lignage de Schopenhauer et de Nietzsche, des penseurs l’ayant tellement marqué qu’il [Freud] déniait toute influence avec une véhémence suspecte. » ( Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p. 31, je souligne );
➪ Affirmation 2:
« Freud a donc lu Schopenhauer, mais n’a [sous-entendu “soi-disant”] jamais été influencé par ses théories […] » (Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p. 53, je souligne) ;
➪ Affirmation 3 :
« Bien sûr, Freud n’oublie pas de répondre à ceux, Adler le premier, qui ont l’insolence de croire qu’il aurait pu avoir des prédécesseurs pouvant lui fournir telle ou telle idée utile à son projet. La consigne ontologique demeure la suivante : Freud découvre tout à partir de son seul génie, il dispose de la grâce, rien ni personne ne saurait l’influencer » (Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p. 59, je souligne) ;
➪ Affirmation 4 :
« On peut comprendre la résistance de Freud à quelqu’un auquel selon toute vraisemblance il doit tant ! Pour Freud, être fils de, devoir quelque chose à un père, le mettait dans des états psychiques où il montrait un réel talent de meurtrier. Avouer son dû à Schopenhauer ou à Nietzsche, voilà une démarche hors de ses forces libidinales… » (Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p.67, je souligne) ;
➪ Affirmation 5 :
« Notre enquête gagnerait aussi à détailler finement ce que l’Unbewusste (l’inconscient) freudien doit au Wille (le vouloir) du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer […]. » (Michel Onfray, Le crépuscule d’une idole, Grasset, 2010, p. 67, je souligne) ;
C’est là qu’il s’agit de montrer sans haine et sans mépris, preuve à l’appui, que contrairement à ce que prétend avec acharnement Michel Onfray, Freud a bien reconnu — en des termes très élogieux de surcroît — l’influence de la philosophie en général et de Schopenhauer en particulier dans la découverte d’un appareil psychique inconscient, et que toutes les affirmations citées plus haut sont fausses. Voici ce qu’écrit Freud en personne :
« Peu d’hommes, sans doute, s’en rendent clairement compte : ce serait une démarche lourde de conséquences pour la science comme pour la vie pratique d’accepter l’hypothèse de processus psychiques inconscients.
Mais hâtons-nous d’ajouter que ce n’est pas la psychanalyse qui, la première, a fait ce pas. D’éminents philosophes peuvent êtres cités pour ses devanciers, avant tout autre le grand penseur Schopenhauer, dont la “volonté” inconsciente équivaut aux instincts psychiques de la psychanalyse.
C’est ce même penseur, d’ailleurs, qui, en des paroles d’une inoubliable vigueur, a rappelé aux hommes l’importance toujours sous-estimée de leurs aspirations sexuelles. La psychanalyse n’a que l’unique avantage de ne pas affirmer sur un mode abstrait ces deux propositions si pénibles au narcissisme, celle de l’importance psychique de la sexualité comme celle de l’inconscience de la vie psychique. Elle en apporte la preuve au moyen d’un matériel qui intéresse chacun en particulier et qui oblige chacun à prendre parti en face de ces problèmes.
Mais c’est précisément à cause de cela qu’elle s’attire l’aversion et la résistance humaine, lesquelles, devant le grand nom du philosophe, s’écartent encore, effarouchés. » (Freud, Une difficulté de la psychanalyse [1917], Essais de psychanalyse appliquée, Idées/Gallimard, 1933, p.147, je souligne)
À moins de ne pas savoir lire, c’est ce qu’il fallait démontrer.
Et tout le livre de Michel Onfray est/hait ainsi. Un tissu de calomnies grossièrement cousu du fil blanc de la mauvaise foi, le degré zéro de l’écriture d’une plume assassine mue par des intérêts pathologiques.
Un bon livre nous apprend quelque chose sur le monde, un mauvais sur son auteur.
Cécile Crignon
Graphorisme par Christian Dubuis Santini
qui un jour m’a fait rire aux éclats lorsqu’il m’a dit :
"Onfray a l'air con,
il pense comme un con,
il agit comme un con,
mais ne t’y trompe pas:
il est vraiment con! »