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La psychanalyse, disait Dolto, c'est apporter à chaque séance un message inconnu de soi-même et qu'un autre perçoit parce qu'il est payé pour y être attentif et pour se projeter le moins possible. C'est une aventure revécue de sa propre vie. Rares sont aujourd'hui encore ceux qui connaissent les bienfaits véritables de cette technique d'utilité publique inventée par Freud. Aussi remarquable que subversive, cette pratique profondément éthique se détermine d'un lien social à deux inédit et permet à celui qui en bénéficie - enfant, adolescent ou adulte - de retrouver dans le parler ce qu'il lui faut de jouissance, de courage et de détermination pour que son histoire continue. Elle révolutionne de surcroît son rapport à lui-même, aux autres et au monde. Bienvenue. Cécile Crignon

Extension du domaine de la psychiatrie

L'association Stop-DSM a tenu un colloque visant à mettre fin à "l'hégémonie du DSM", cette "bible" de la psychiatrie.

La salle était pleine à craquer, samedi après-midi, à l’hôpital des Diaconesses dans le douzième arrondissement parisien, où se tenait un colloque très attendu organisé par Stop-DSM. Stop-DSM ? C’est cette association créée en 2010 par Patrick Landman, pédopsychiatre et psychanalyste, ouverte à ceux qui pensent qu’une tornade biologiste s’abat sur la psychiatrie, portée par le DSM, manuel diagnostique et statistiques des troubles mentaux édicté depuis 1952 par la toute puissante Association américaine de psychiatrie (APA).

Ses détracteurs disent de ce guide qu’il a conduit à l’ère du psychotrope pour tous et de la souffrance réduite à un dérèglement cérébral rectifiable par une médication. Adieu névroses, conflits psychiques, angoisses, maniacodépressions : tout n’est que "troubles" désormais (1) ou "spectre de trouble". Il en faut peu, ont expliqué en substance les participants (2), pour se voir au XXIème siècle coiffé très rapidement d’un petit bonnet psychiatrique. Face à "l’hégémonie du DSM", certains craignent même qu’il soit trop tard pour inverser le cours des choses car l’enseignement en faculté est sous influence "de cette pensée réductionniste".

Tout à l’heure, c’est Pat Bracken lui-même, fondateur de la Psychiatrie critique anglaise, venu de Cork (Irlande) pour retracer l’histoire de la pensée critique depuis Socrate, qui dira combien il regrette que la médecine de l’âme soit désormais fondée sur "un paradigme technologique" et son enseignement "un bourrage de crâne".

Un autre conférencier, Patrice Charbit, président du Syndicat national français des psychiatres privés décrira "la tentative d’OPA sur le diagnostic par le DSM qui sature les propositions pour rendre inutile et vaine tout démarche singulière et toute pensée autonome". Il avancera aussi que "la soumission demandée aux docteurs et aux patients assure la fiabilité du marché et la sérénité des actionnaires". Questions cruciales non encore débattues en France où la plupart des gens n’ont jamais même entendu parler du DSM. Mais pour le moment, un Américain, visiblement une sommité, va prendre la parole.

Impatience perceptible dans la salle où l’on règle en vitesse ses écouteurs pour ne surtout de rien manquer de la traduction, quand s’avance cet homme très sympathique d’une soixantaine d’années, la chevelure blanche, la silhouette haute et massive, vêtu de noir, détendu et simple comme seuls savent l’être les Américains même quand ils sont connus. Il a quitté sa place derrière la table des conférenciers pour se mettre debout, micro à la main, près des premiers rangs où sont assis de vieux lacaniens élégants et concentrés, ravis de rencontrer le chef de file de leur contestation. Cet homme, c’est Allen Frances. Psychiatre de renom. Auteur de "Sommes nous tous des malades mentaux ? Le normal et le pathologique." (Odile Jacob). Et surtout repenti.

Directeur pendant dix ans du DSM-IV édicté en 1994, c’est lui qui a validé l’entrée au répertoire de nos folies d’une série de "troubles" accusés d’avoir essaimé pour le pire, comme l’hyperactivité et la bipolarité. Allen Frances cite Huxley en préambule de son exposé. "La médecine fait des progrès tellement formidables que bientôt plus personne n'ira bien". Chose rare chez les médecins, lui fait son mea culpa. "Ce qu’on a fait en 1994 est idiot. En l’absence de découvertes scientifiques on aurait dû s’en tenir au DSM-3".

Il rappelle qu’en trente ans de recherche sur le cerveau et des milliards ainsi engloutis, on n’a rien trouvé d’ébouriffant. Toutes ces recherches pour zéro profit thérapeutique ? Absolument, dit-il. Les molécules efficaces, celles qui permettent à des psychotiques autrefois tenus enfermés de vivre en société, datent des années 1950. La promesse de lendemains biologiques qui chantent depuis cette "décennie du cerveau" que furent les années 1990, se heurte à la réalité. Sous chaque crâne dix milliards de neurones, "autant que d’étoiles" dit-il, et chacun connecté a un million d’autres. Alors il en faudra encore, des décennies, pour y voir clair.

Comme David Healy, professeur à l’université de Cardiff (Pays de Galle) et créateur d’un site de veille sur les effets secondaires des psychotropes (rxisk.org), Allen Frances rappelle tout psychiatre à son devoir d’humilité car si les médicaments de l’esprit marchent souvent, on ne comprend pas bien pourquoi ca marche.

Dans ce marché du trouble en tout genre où l’on attrape dans les filets diagnostiques des gens confrontés à des problèmes existentiels, il se pourrait même que l’effet placebo des médicaments joue un rôle majeur, encore plus grand qu’on ne le pense.

Pour Allen Frances, le DSM, dont une version "enrichie" - le DSM-5- sera traduite en français début 2015, est un concentré de "constructions sociales" érigées en maladies et rendues populaires depuis cette Amérique où un puissant prescripteur nommé télévision diffuse les spots anxiogènes de l’industrie pharmaceutique aux heures de grande écoute "to sell the ill and then sell the pills" (pour vendre la maladie et ensuite vendre les produits).

L’extension du domaine de la psychiatre est d’autant plus cynique, conclue-t-il, qu’aux Etats-Unis bien des gens qui auraient besoin d’être soignés ne le sont pas, comme ces malades mentaux abandonnés dans des prisons qui rappellent "la Salpêtrière d’avant Pinel". Très applaudi lui aussi.

Anne Crignon

(1) Le TAG (Trouble anxieux généralisé), le TOP (Trouble oppositionnel avec provocation, le TDA/H (Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité) et bien d’autres.

(2) Par ordre de prise de parole : Patrick Landman, Allen Frances, Guy Dana, Dominique Tourrès, Jean Chambry, Jean Garrabé, Manuel Rubio, Patrick Chemla, Patrice Charbit, Gérard Pommier, Pat Bracken, Jean Jacques Tyszler, Mireille Battut, Florence Leroy, Claude Deutsch et Tristan Garcia-Fons.

Sur le site du Nouvel Obs, Publié le 23-11-2014 à 15h29Mis à jour le 24-11-2014 à 07h27

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