La psychanalyse, disait Dolto, c'est apporter à chaque séance un message inconnu de soi-même et qu'un autre perçoit parce qu'il est payé pour y être attentif et pour se projeter le moins possible. C'est une aventure revécue de sa propre vie. Rares sont aujourd'hui encore ceux qui connaissent les bienfaits véritables de cette technique d'utilité publique inventée par Freud. Aussi remarquable que subversive, cette pratique profondément éthique se détermine d'un lien social à deux inédit et permet à celui qui en bénéficie - enfant, adolescent ou adulte - de retrouver dans le parler ce qu'il lui faut de jouissance, de courage et de détermination pour que son histoire continue. Elle révolutionne de surcroît son rapport à lui-même, aux autres et au monde. Bienvenue. Cécile Crignon
- Alors, là, je donne une image pour qu'on comprenne.
L'océan, mettons que c'est l'espèce humaine.
Chaque vague est un individu qui va au maximum de ses possibilités d'expression et qui, à l'acmé de sa force, retombe dans la non-différenciation de la masse de l'océan.
C'est cette rentrée dans l'indifférenciation de la masse liquidienne qui représenterait, au moment où s'amorce la chute de la vague, les pulsions de mort éprouvées par la vague.
Du fait de l'élan de la vague pour s'individualiser jusqu'à son maximum au moment du déferlement, il y a une chute de la pulsion qui faisait se former la vague ~ n'est-ce pas ce qu'on appelle l'entropie? ~, et le retour au fait d'être un spécimen de l'espèce humaine, c'est-à-dire le retour au "ça", jusqu'au moment où de nouveau "je" va parler. " Je" va de nouveau individualiser chacun.
Tout le temps, chaque vague lutte contre la pesanteur qui est pour elle comme les pulsions de mort pour le sujet humain conscient de son existence. La vague s'arrache à la pesanteur pour retourner, après l'achèvement de sa trajectoire de déferlement qui l'accomplit, à la masse dont elle est issue.
Chaque individuation, chaque pulsion libidinale d'un sujet ~ceci dans le courant de sa vie, et à chaque coït ~ concourt à l'individuation et à l'affirmation de ce sujet. C'est cela une pulsion de vie.
La pulsion de mort, c'est une pulsion de désindividuation qui, opposée au désir, le combat de façon sous-jaccente en le sous-tendant et prévaut quand le désir ne peut plus tenir plus longtemps ~ c'est soit le désir de vivre dans la trajectoire d'un être humain, à la fin de sa vie, soit le désir de vivre dans l'engagement, dans la rencontre du coït.
Nous appelons les pulsions de mort comme le ça inconscient qui est en nous les appelle, comme la preuve, comme la certitude d'un allant-devenant dans le génie de notre sexe, chacun de nous et chaque sujet que nous sommes jusqu'à l'épuisement de notre accomplissement dans l'idée sexuée que nous avons de notre image du corps et de nous-même.
[...] Les pulsions de mort n'arrivent à la liminaire conscience de l'individu ~ c'est là qu'on les rencontre ~ que dans l'orgasme. La vague est au maximum de la pulsion de la vie pour rencontrer, chez l'autre, soi-même. C'est narcissique.
Pour rencontrer chez l'autre soi-même entièrement, toutes les pulsions vont vers lui, dans le don à l'autre, quel que soit le sexe. Et la manifestation du désir est allée dans son expression à ses limites extrêmes, à tel point qu'elle retombe. La conséquence en est la jouissance et la détumescence. C'est quand je ne suis vraiment plus rien que je suis vraiment un homme, disait Lacan.
Mais pour n'être plus rien dans un accomplissement total, avant, il faut avoir été au début du désir.
( Françoise Dolto, La vague et l'océan, Séminaire sur les pulsions de mort (1970-1971), Gallimard, 2003, p. 34 )