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La psychanalyse, disait Dolto, c'est apporter à chaque séance un message inconnu de soi-même et qu'un autre perçoit parce qu'il est payé pour y être attentif et pour se projeter le moins possible. C'est une aventure revécue de sa propre vie. Rares sont aujourd'hui encore ceux qui connaissent les bienfaits véritables de cette technique d'utilité publique inventée par Freud. Aussi remarquable que subversive, cette pratique profondément éthique se détermine d'un lien social à deux inédit et permet à celui qui en bénéficie - enfant, adolescent ou adulte - de retrouver dans le parler ce qu'il lui faut de jouissance, de courage et de détermination pour que son histoire continue. Elle révolutionne de surcroît son rapport à lui-même, aux autres et au monde. Bienvenue. Cécile Crignon

Le TDAH n'existe pas.

Le TDAH n'existe pas.

Les enfants hyperactifs sont-ils des malades mentaux ?

Ce 13 février, la Haute Autorité de Santé (HAS) rend public un rapport qui incite les médecins à reconnaître et utiliser le diagnostic d’hyperactivité infantile. Les experts de tous bords, comportementalistes comme psychanalystes, se sont mis d’accord sur une définition: un déficit attentionnel et une grande impulsivité mal contrôlée, accompagnés ou non d’une activité désordonnée et inefficace. D’où le terme: «Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité» (TDAH).

Patrick Landman est pédopsychiatre et psychanalyste. Il est le fondateur de Stop-DSM, association qui dénonce le péril d'une psychiatrie soumise aux neurosciences. Depuis des mois, il met en garde contre les dangers d’une dérive à l’américaine: abus de diagnostics et Ritaline prescrite à la légère. Il s’en explique dans un essai «Tous hyperactifs ? L’incroyable épidémie des troubles de l’attention» (Albin Michel). Rencontre avec un sceptique, porte-parole des «anti-TDAH».

Anne Crignon

L’Obs. La Haute Autorité de Santé (HAS) s'apprête à rendre public un «Rapport de bonne pratique» au sujet de l’hyperactivité, ou TDAH. Ce rapport incite à utiliser davantage ce diagnostic pour aider les enfants qui en souffrent. En préambule de votre livre, vous prédisez une épidémie en France de TDAH. Pourquoi ?

Patrick Landman. Je pense que la HAS va accréditer le «dogme» de l’existence du TDAH et cela va entraîner très probablement une augmentation des «cas», comme cela s’est produit partout dans le monde, où le TDAH a été validé, que ce soit en Amérique du Nord (USA, Canada), en Australie ou en Israël.

Nous aurons des campagnes de promotion de la maladie financées par les laboratoires pharmaceutiques qui entraîneront un surdiagnostic et un surdépistage, comme ça s’est passé aux Etats-Unis, englobant sans distinction tous les comportements perturbateurs des enfants et des adolescents, puis étendu aux adultes distraits ne sachant pas s’organiser, instables et en difficulté d’insertion sociale. Autrement dit: beaucoup de gens.

Une grande partie sera diagnostiquée hyperactif à tort (c’est ce qu’on appelle des «faux positifs»), étant donné l’absence de spécificité des symptômes constitutifs du TDAH, leur appréciation subjective dépendante du contexte, sans parler de la difficulté de tracer une frontière nette entre le normal et le pathologique.

Patrick Landman (DR)

Comment le terme d’«hyperactivité» est-il devenu si populaire ?

La raison principale, c’est le succès mondial du DSM, c’est-à-dire du Manuel Diagnostic et statistique des troubles mentaux. Ce manuel américain, depuis sa version III parue à la fin des années 1970, domine la psychiatrie mondiale. Le DSM a imposé de nouveaux concepts, de nouveaux paradigmes, essentiellement comportementaux.

Avec le DSM, on ne s’occupe que des comportements que l’on regroupe pour en faire des «troubles». La notion de «symptôme» a disparu pratiquement. L’appellation «hyperactivité» en est un exemple: elle était autrefois considérée comme un symptôme pouvant s’observer dans différentes structures de fonctionnement psychique -névrose, état limite, psychose. Elle est devenue un comportement associée à deux autres comportements pour «fabriquer» un trouble mental.

Dans votre livre, vous dites que le «TDAH» n’existe pas, mais que l’hyperactivité existe pour autant bel et bien. Que voulez-vous dire ?

Que l’hyperactivité existe en tant que symptôme, ainsi que les «troubles de l’attention» et «l’impulsivité», est une évidence clinique. Mais le «TDAH», lui, est une chimère et non pas une entité pathologique naturelle ou validée scientifiquement. Le TDAH n’est pas non plus un syndrome (réunion non fortuite de plusieurs symptômes).

C’est une addition artificielle de trois sortes de symptômes comportementaux: hyperactivité, troubles de l’attention, impulsivité, réunion justifiée par le fait qu’ils peuvent être la cible d’un médicament «qui marche» à court terme, le méthilphénidate, molécule commercialisée en France sous les noms de Ritaline, Concerta ou Quazym.

Ces trois symptômes existent bien sûr, mais leur réunion est arbitraire et non justifiée scientifiquement. Ni par la biologie ni par la neuropsychologie. C’est le produit qui a crée la «maladie».

L’idée est pourtant répandue que le cerveau des enfants hyperactifs présente des anomalies. Des spécialistes du TDAH eux même parlent dans leurs ouvrages grand public de «déficit en dopamine» ou de «maladie neurologique». Comment en est-on arrivé là ?

L’idée d’une origine cérébrale de l’hyperactivité est ancienne et n’a jamais reçu de confirmation. Les anomalies observées à l’imagerie cérébrale sont des corrélations qui se retrouvent dans différents troubles. Mais corrélation ne veut pas dire causalité. Il est logique que des enfants présentant un symptôme aient un fonctionnement cérébral différent, mais c’est le cas aussi pour les enfants immatures. Rien n’est prouvé en génétique ou en neuro-chimie.

Mais la propagande de la psychiatrie exclusivement biologique repose sur un triptyque: 1) tout comportement hors norme est un trouble psychiatrique, 2) tout trouble psychiatrique est d’origine cérébrale et dû à un déséquilibre chimique, 3) donc il faut réparer ce déséquilibre chimique à l’aide d’un médicament.

Ce médicament permet aussi de masquer les responsabilités politiques, sociales, pédagogiques, éducatives et familiales dans le malaise de certains enfants. Cette propagande mensongère est non fondée scientifiquement. Elle prend des hypothèses spéculatives pour des faits.

Mais cela influence malheureusement les politiques publiques car cette propagande se fait passer pour scientifique, grâce à un lobbying très actif. Le professeur Gonon, neurobiologiste, chercheur au CNRS de Bordeaux, a démontré que cette psychiatrie biologique s’apparente plus à une pseudoscience qu’à une activité scientifique véritable, dans son article: «La psychiatrie biologique: une bulle spéculative», paru dans la revue «Esprit»en novembre 2011.

François Gonon démontre aussi le décalage entre les effets d’annonce avec un gros titre attractif dans la presse scientifique et la réalité des découvertes qui sont minimes ou même inexistantes. Mais cette technique de communication alimente la croyance du public en la psychiatrie biologique.

En gros, on est passé d’une psychiatrie nourrie de psychanalyse, qui recherchait les causes du mal-être dans l’histoire et l’esprit du sujet, à une psychiatrie biologique qui recherche les causes dans le cerveau. Certains parlent de «grand remplacement».

Nous sommes fascinés par le cerveau et ses 100 milliards de connections mais, malgré les progrès indéniables de la recherche, rien ne se traduit comme progrès sur le terrain des soins. Il faut attendre. Le grand remplacement dont vous parlez a de multiples causes, mais le DSM dont j’ai parlé est en première ligne.

De plus, la souffrance mentale est de moins en mois tolérée ; il faut des solutions rapides. L’origine cérébrale déculpabilise: je n’y suis pour rien, c’est mon cerveau, et la science médicale peut me guérir avec un diagnostic et un traitement, comme pour toute autre maladie organique. La pression sociale à la réussite académique et professionnelle exige qu’on se débarrasse des comportements gênants et non qu’on en recherche les raisons.

Enfin, la psychanalyse a été surestimée dans ses possibilités explicatives et thérapeutiques. Tout n’était pas parfait au temps du règne sans partage de la psychanalyse. A juste titre, on peut reprocher à certains psychanalystes des positions idéologiques ou dogmatiques, qui ont parfois causé du retard au diagnostic, créant un risque accru d’échec scolaire. Mais comme bien souvent, on a tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain. Tout cela s’est conjugué pour en arriver à la situation actuelle.

Les opposants aux TDAH, qui sont souvent des psychanalystes partisans d’une exploration psychologique des grands agités, parlent de l’hyperactivité comme d’une «construction sociale»…

Il n’y a pas que les psychanalystes qui sont opposés au TDAH, mais aussi des enseignants, des psychologues scolaires, des parents et des scientifiques. Oui, le TDAH est une construction sociale dans le sens où plusieurs tendances et acteurs sociaux ont contribué à le créer et à le promouvoir: les enseignants débordés, les familles dépassées qui cherchent une solution,certaines associations d’usagers, les firmes pharmaceutiques, les experts convaincus, parfois même corrompus.

Il faut tenir compte bien sur de l’évolution des mentalités qui va dans le sens de l’intolérance grandissante aux différences, aux enfants pas comme les autres. Or le rôle des soignants est de soigner et pas de normaliser.

Vous écrivez que «le parler neuro» en vogue dans la psychiatrie depuis 20 ans est «un dissolvant rapide des facultés critiques».

L’expression est de M.B. Crawford, chercheur en sociologie à l’«Institute of Virginia», dans son article «The limits of neuro talk» paru dans le journal«The New Atlantis». La force de conviction de l’image est puissante et connue. Depuis que la technique de l’imagerie fonctionnelle cérébrale nous permet de visualiser le fonctionnement cérébral en «live», de multiples théories sont apparues croyant localiser dans le cerveau les grandes fonctions cognitives comme la mémoire, la perception ou l’attention.

D’autres chercheurs sont allés jusqu’à penser qu’on pouvait lire les pensées à l’imagerie ou encore dépister les déterminants de nos tendances ou choix politiques, nos goûts esthétiques ou de consommateurs.

L’imagerie est seulement un indicateur du fonctionnement cérébral. Mais elle entraîne chez certains un affaiblissement des facultés critiques transformant leurs interprétations en réalité. La technique devient une idole, le support de visées commerciales ou manipulatrices. Tout cela est absurde, mais alimenté par la place grandissante des neurosciences dans le champ social.

A remarquer tout de même que les photos d’imagerie cérébrale sont très répandues en psychiatrie alors qu’elles ne servent ni au diagnostic ni au traitement. Mais «parler neuro», avec une illustration en couleur, est supposé scientifique et sérieux. Raymond Tallis dans son livre «Aping mankind» appelle cette mode «Neuromania». Il n’existe plus d’inégalités sociales ou d’inégalités des chances, seules comptent les inégalités cognitives cérébrales. Pourquoi pas du «neurofitness» pour améliorer nos performances cognitives ?

Dès lors, est-il juste de parler de «diagnostic» puisque ce n’est pas une maladie ?

Oui, car on peut parler du diagnostic d’un ou de plusieurs symptômes. Mais votre question est importante car la médicalisation des troubles mentaux a ses limites. Dans les pays à faible revenu par habitant d’Afrique ou d’Asie, où les soins médicaux psychiatriques sont rares ou difficiles d’accès, des études ont montré que les sujets atteints de troubles mentaux persistants comme la schizophrénie n’étaient pas moins bien soignés qu’en Europe ou aux Etats Unis.

Le pronostic est comparable à celui des patients atteints des mêmes troubles selon les mêmes critères d’inclusion dans les pays occidentaux soignés avec des médicaments. Ces patients sont pris en charge de façon traditionnelle et communautaire. Cela pose une vraie question à notre psychiatrie biologique occidentale.

Etre reconnu hyperactif ouvre des droits, notamment des aménagements scolaires au titre du «handicap». Est-il anodin pour un enfant de croire que quelque chose cloche dans son cerveau ?

D’après les enquêtes disponibles, l’impact du «label» TDA/H entraînant les mesures dont vous parlez chez un enfant ou chez un adolescent est variable. En règle générale, on observe tout d’abord un soulagement induit par le fait d’être reconnu, de se sentir aidé et soutenu. Puis, petit à petit, le statut devient enfermant: l’enfant était à part à cause de ses symptômes et, le moment d’apaisement et de compassion passé, il redevient à part à cause de son handicap.

Certains prennent d’emblée très mal d’être étiqueté handicapé et de porter seul le fardeau, en ayant plus ou moins consciemment le sentiment que cela dédouane tous les autres intervenants dans leur environnement familial et scolaire. Je peux témoigner de la satisfaction de jeunes patients qui arrêtent définitivement le traitement par méthilphénidate, ce qui montre qu’ils souffraient probablement de leur statut d’handicapé ou de malade et qu’ils avaient une difficulté avec leur image et l’estime de soi. D’autres s’en accommodent mieux.

Les parents ne sont pas responsables de l’hyperactivité de leurs enfants, mais ils interagissent, écrivez-vous. Les projections sont pour beaucoup dans le développement de l’enfant. Or ce pouvoir déterminant du regard des parents semble minoré en 2015…

La place de l’enfant dans l’économie psychique des parents, dans leurs fantasmes, dans leurs idéaux n’est plus considérée, au nom de la non-culpabilisation, alors qu‘elle joue un rôle parfois très important dans le développement psychologique. L’interaction entre les parents et l’enfant se voit réduite au niveau conscient comportemental et éducatif. C’est utile mais superficiel. Approfondir les données de cette interaction ne conduit pas à chercher une causalité mais à mieux soulager l’enfant et son entourage.

De nombreux couples consultent car leur enfant est dissipé et inattentif en primaire. Il semblerait que la bonne fortune du diagnostic TDAH soit indissociable de l’anxiété scolaire des parents. Qu’en pensez-vous ?

Tout à fait. Il faut toujours prendre au sérieux ces difficultés pour ne pas entraver l’avenir scolaire. L’errance diagnostique sans solution est un vrai problème et, dans bien des cas, la solution médicamenteuse qui marche à court terme est un soulagement pour les familles. C’est pourquoi je ne suis pas opposé à la prescription.

L’«anxiété scolaire», comme vous dîtes, est légitime, mais elle donne lieu parfois à des débordements, dus par exemple à une fixation obsessionnellesur les résultats, source d’interactions difficiles qui aggravent le problème. Il s’ensuit une synergie négative entre l’exigence des parents et le refus ou les difficultés de l’enfant. On voit à cette occasion l’intérêt pour soulager l’enfant et les parents de s’occuper des projections parentales et pas seulement de leur aptitude à réguler leurs comportements parentaux.

Un des critères du TADH est la distraction. Or la distraction n’exclut pas la concentration. C’est même parfois le contraire paradoxalement.

Tout à fait. On peut être distrait… parce qu’on est concentré sur quelque chose. Un chercheur qui marche dans la rue, concentré sur son travail, peut traverser la rue au feu vert.

On confond tout le temps distraction et distractibilité. La distraction, c’est par exemple l’absence d’attention à l’environnement immédiat, ce qui n’exclut pas une attention soutenue sur autre chose ; la distractibilité, c’est la difficulté à maintenir son attention longtemps sur un objectif - c’est le «zapping». Il n’existe aucun test qui mesure avec pureté l’attention. En fait, l’attention est une notion psychologique et même en la divisant en plusieurs types (attention visuo-temporelle, attention conjointe, etc.), on ne peut la déterminer scientifiquement avec précision.

Concernant d’éventuelles erreurs de diagnostics, une catégorie d’enfants semble particulièrement visée: les enfants intellectuellement précoces (EIP) en échec scolaire. En France, on continue de croire que le surdoué a deux ans d’avance et des 20/20 partout, alors qu’il peut être aussi cancre et dissipé. Ne risque-t-on pas de confondre l’inattention de l’hyperactif avec l’ennui scolaire de l’enfant doué en échec ? L’agitation de l’«hyperactif» et l’énergie hors-norme d’une grande intelligence ? Deux études américaines établissent que l’erreur de diagnostic la plus fréquente pour les sujets à hauts potentiels est le TDAH…

Les enfants à haut potentiel, les gifted children, sont en effet un immense facteur de confusion. L’existence de cette catégorie n’est pas admise par tous en France et n’est pas suffisamment explorée, mais l’erreur de diagnostic est un risque majeur. Les tenants du TDAH essaient de se sortir de cette difficulté en parlant de «comorbidité», c’est à dire d’enfants à la fois à haut potentiel et TDAH.

Il faudrait développer longuement le problème des «comorbidités» car elles reflètent l’impasse des diagnostics fourre-tout, fondés exclusivement sur un relevé de comportements. Les enfants à haut potentiel qui présentent un symptôme d’hyperactivité nécessitent tout autre chose que du méthilphénidate. C’est même une faute que de les «casser» avec un médicament.

Vous estimez par ailleurs que, dans cette affaire, on oublie un détail: les écrans. Y aurait-il un lien avec l’hyperactivité ?

On n’oublie pas totalement, mais je suis de l’avis du Professeur François Gonon: les recommandations médicales n’insistent pas suffisamment sur cette question. Une étude a montré l’impact négatif de l’exposition prolongée aux écrans en tous genres sur l’attention des enfants et adolescents, avec pour conséquence leur inclusion possible dans le diagnostic de TDAH. Aux USA, la question de l’exposition prolongée aux écrans a fait l’objet d’une recherche approfondie, et il en a résulté des recommandations précises de la très sérieuse American Academy of Pediatrics.

Les principales directives sont les suivantes: 1) proscrire la télévision et les jeux vidéo de la chambre de l'enfant, 2) interdire les écrans aux enfants de moins de deux ans, 3) toujours être avec l’enfant lorsqu'il regarde la télévision, 4) limiter le temps total d'exposition aux écrans (tous les crans confondus) à une ou deux heures par jour. Ces recommandations me paraissent sages. Si elles pouvaient être appliquées, elles contribueraient à coup sûr à diminuer le nombre d’enfants inclus dans le diagnostic de TDAH.

Propos recueillis par A.C.

L'Obs, Publié le 12-02-2015 à 15h08

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